White Noise, de Christian Marclay (né en 1955) soustrait à la vue des images pour rendre visible un phénomène d'occultation, mais nous donne à voir, dans un même mouvement, un souffle commun.
L'oeuvre nous met face à une accumulation colossale de photographies d’amateurs, achetées aux puces de Berlin et épinglées sur leur revers, du sol au plafond sur les murs du musée des Beaux-arts de Berne.
Juxtaposition proliférante de petits rectangles blancs, plus ou moins jaunis ou déformés par le temps, parfois annotés à la main par leurs premiers propriétaires, consignant tel mariage, tel lieu de vacances, tel diplôme, indice de bribes de vies particulières et pourtant communes à tous… Nul besoin de les voir pour les imaginer. Cette mise "en latence", au contraire, ouvre au collectif, non pas au même ou à l'identique, mais au commun.
« Si vous regardez réellement ces photographies, vous ne pouvez que faire l’expérience de leur banalité », explique Marclay. "Nous avons tous les mêmes photographies chez nous […]. Plus je les regardais, plus elles devenaient anecdotiques. Aussi, retournées, elles restent des photographies - que tout le monde reconnaît en tant que telles – mais perdent leur qualité subjective. »
Est-ce qu’un artiste exprime la voix d’un Je ou d’un Nous ?
Ici, une écriture chorale se met en place, et les souvenirs d'inconnus se mêlent aux nôtres, et notre mémoire vient activer cette mémoire suspendue.
Le White Noise, « bruit blanc » évoque un son composé de toutes les fréquences, comme la lumière blanche est un mélange de couleurs. Le bruit blanc donne l’impression d’un souffle. Souffle, bruissement discret et puissant d’une mémoire de l’Allemagne, évoquée à demi-mots. Celle d’une mémoire mise au rebut par cartons entiers après la chute du mur, comme pour s’en défaire.
extrait d'un article publié dans le dossier pédagogique de la Ligue de l'enseignement, accompagnant l'oeuvre La Marche, du collectif les Faux-amis