À l’heure de la dématérialisation des images apportée par le numérique, regarder l’exposition « À fonds perdus » - collection de photographies de presse publiées entre 1910 et 1970 dans des quotidiens américains -avec nos cadres de références actuelles est une expérience fascinante.
Les tirages sont littéralement « réécrits » par les éditeurs : notes manuscrites ou dactylographiées ; larges marques de recadrages à la gouache noire, grise, au crayon orange ; renforcements des yeux, des bouches et des sourcils à l’encre ; estompage des plis et rides à la gouache ; membres effacés puis redessinés dans une autre position ; arrière-fond repeint en gris, en blanc, à la gouache ou à l’aérographe.
Parfois grossières, parfois d’une virtuosité étonnante, permises par la faible définition des journaux de l’époque, ces retouches reposent aujourd’hui, avec décalage, la question de la matérialité du support photographique – avec un endroit et un envers –, de la construction du sens, de la différence entre contexte de prises de vue et contextes de diffusion ainsi que les libertés prises avec la notion d’auteur, les images publiées étant le fruit d'une écriture collective.
On ne peut s’empêcher de penser au mythe de la première photographie, entièrement remaniée pour être publiable : le Point de vue du Gras de Nicéphore Niépce, qui a été « artificiellement contrastée », comme le dit élégamment Michel Frizot, pour pouvoir être publiée par le Times un siècle plus tard, en 1952.
Derrière cet « artificiellement contrasté » se cache une retouche qui frise à la réinvention : la plaque d’étain a été tout d’abord re-photographiée, puis un tirage réalisé à partir de cette seconde image a été retouché à l’encre de Chine dans un premier temps par les laboratoires de Kodak puis, pendant deux jours, à l’aquarelle, par Helmut Gernsheim, l’historien ayant contribué à sa redécouverte.
Illustration : Humphrey Bogart, 1949
Photo promotionnelle du film Knock on Any Door (Les Ruelles du malheur) de Nicholas Ray, Studios Columbia, 1949 ; Éditeur : Baltimore Sunibi
© Columbia Pictures
Raynal Pellicer, le commissaire de l’exposition, est également l'auteur, aux éditions de La Martinière de Présumés Coupables (2009), autour des collections de photos anthropométriques dans les archives de la Préfecture de police de Paris, Photomaton (2011), traitant des origines du procédé jusqu’à ses détournements artistiques, et Version originale, la photographie de presse retouchée (2013).
L'exposition sera présentée aux Rencontres d'Arles 2013, aux ateliers Sncf, à l'atelier des Forges